L'histoire qui suit est extraite des souvenirs de Dazaroth, premier né de tous les Vorgans.


Il y a un peu plus de quarante ans a émergé l'île de Domilia au milieu d'un océan inconnu et s'étendant à perte de vue. Des profondeurs de la terre s'était élevé un mouvement, une vibration sourde et bientôt se creusa un cratère immense au milieu duquel une forme recroquevillée tremblait en position fœtale. Un homme ailé, né du cœur même de cette terre rouge, déplia lentement ses membres et ouvrit grand des yeux aussi noirs que l'onyx sur un ciel azuré et pur. Dazaroth. Le premier né.

À mesure que sa conscience s'éveillait, il explora les lieux et se découvrit seul sur une immense île déserte de toute construction ou présence similaire à la sienne. Aussi loin que pouvaient le porter ses ailes, il n'y avait nulle autre terre émergée que cette île qui était désormais son domaine.

À l'emplacement du cratère d'où il était sorti, il ne trouva plus nulle trace de sa naissance, la terre et la nature ayant repris leurs droits. Une seule chose indiquait encore l'emplacement exact où la vie lui était venue : une pierre ronde et noire, semblable à ses yeux d'obsidienne, et totalement inamovible comme si elle plantait ses racines profondément dans le sol.

Bientôt s'élevèrent aux alentours les cris de ses frères naissant à leur tour des profondeurs de la terre meuble. Mais Dazaroth était venu le premier et il prit rapidement l'ascendant sur ses semblables. Il les nomma et leur assigna des rôles à leur mesure, balayant toutes contestation par la force de son esprit, de son corps et par la connaissance accrue qu'il avait de ce monde grâce au temps qu'il y avait passé seul. Il était le plus beau, le plus grand, le plus fort et le plus rapide. Le premier d'entre tous. Et rien ne pouvait changer cela.

Alors que s'organisait peu à peu la vie des Vorgans sous la houlette de leur chef incontesté, d'autres naissaient ça et là au fil des années et rejoignaient leurs rangs. Tous étaient dotés d'ailes, d'une grande beauté et d'une perfection physique dépassant l'entendement. Tous faisaient également preuve d'un caractère dominateur et hautain qui engendra bientôt une volonté d'asservir les autres.

Pour éviter luttes intestines et guerres sanglantes, le Nanbu Dazaroth chercha donc une solution propre à occuper ses frères et à assouvir leur besoin de domination. C'est par un heureux hasard qu'il comprit un jour comment il pouvait pénétrer un autre monde à travers les rêves des êtres qui y vivaient. Lors de ce même voyage, il prit conscience d'un autre pouvoir propre à ceux de sa race : celui de s'emparer des âmes des humains dont ils visitaient les rêves pour les ramener dans son monde. C'est ainsi que lui vint l'idée de faire venir des Hommes, plus faibles qu'eux physiquement et qui seraient de parfaits esclaves pour les créatures supérieures que sont les Vorgans. Et c'est ainsi que naquit le peuple des Mezereths.

Des années durant, ils soumirent hommes et femmes à leurs envies et leurs désirs, leur faisant construire tout ce qui leur était nécessaire et les asservissant sans le moindre remords. L'île se développa, se dotant d'un immense Palais, d'une cité propre à abriter le peuple soumis, mais également de tous les lieux et infrastructures indispensables à la survie de tous.

Il fallut encore plusieurs années pour que viennent au monde les premiers nés d'une Mezereth et d'un Vorgan. Dès leur naissance, les jumeaux se révélèrent hors du commun et il s'avéra rapidement qu'une nouvelle race avait vu le jour sur l'île. Pendant des années, les Vorgans étaient restés stériles jusqu'au jour où Dazaroth lui-même avait trouvé le moyen de contrer cette unique faiblesse de son être.

À l'aube de ce nouveau jour, il était retourné au lieu de sa naissance et avait médité longuement près de la pierre noire dont il avait gardé l'existence secrète. C'est là que lui apparut pour la première fois l'Ephilim, une créature fantastique qui semblait sortie des plus sombres cauchemars d'un être humain. À ses côtés, pâle fantôme intangible et éthéré, se tenait une jeune fille fraîche et pure comme un lever de soleil sur Domilia. Enchaînées l'une à l'autre, la jeune fille et la créature parlaient d'une même voix vibrante et profonde au sein même du cœur battant du Nanbu.

Elles expliquèrent à Dazaroth que c'était l'énergie dégagée par les étreintes charnelles qui maintenaient en place la chaîne qui les reliait et qui donnait vie à ce monde. Les yeux de la jeune fille exprimait la douleur la plus profonde mais brillaient également de l'éclat du pardon. De son vivant, dit-elle, elle avait été douce, pieuse et charitable. C'est en souvenir de ce qui l'avait habitée qu'elle indiqua au Nanbu la manière de réaliser son vœu le plus cher : avoir une descendance.

Les enfants premiers nés de l'union de Vorgans et de leurs esclaves seraient à l'origine d'une race nouvelle, expliquèrent-elles encore. Mais comme toute créature hybride, les Tellonos seraient stériles, bien que dotés de pouvoirs supérieurs à ceux de leur mère.C'était le prix à payer pour pouvoir procréer.

Dans le plus grand secret, Dazaroth fit donc ce qui lui avait été décrit dans sa vision et prépara le remède qui lui permettrait de procréer. Il ignorait à ce moment là que l'opportunité qu'il se donnait serait étendue à ses frères par le lien surnaturel qui les unissait tous à la terre dont ils étaient issus. Ainsi vinrent au monde les Tellonos qui se révélèrent rapidement les dignes héritiers de leurs pères.